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lundi 20 février 2012

INEPTIE SOCIOLOGIQUE ET JURIDIQUE: D’une assemblée indigne

ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN |  | PAR JOËL TOUSSAINT
Que l’avis du Privy Council soit favorable ou non aux représentants de Rezistans ek Alternativ, Maurice est un État souverain et il appartiendra donc à son Parlement de décider d’une éventuelle abrogation de la Première Cédule de la Constitution, qui fait obligation aux candidats aux législatives de se déclarer d’une des quatre communautés établies. Ce qu’on ne dit toutefois pas dans cette affaire c’est que l’exercice du droit démocratique à Maurice est soumis à la Contrainte Préalable – un « Prior Restraint ».
Que nos parlementaires s’abstiennent de commentaires sur la contestation par Rezistans ek Alternativ des dispositions de la Première Cédule de la Constitution, ne devrait pas nous étonner. Ils ont tous consenti, en effet, sur un ou plusieurs mandats, à se soumettre aux conditions d’une catégorisation des plus farfelues pour accéder à la députation. La formule de cette catégorisation constitue bien la plus belle ineptie sociologique et juridique jamais élaborée et qui a néanmoins trouvé place dans la Constitution d’un État. En effet, les critères sociologiques pour la définition des catégories de la Première Cédule ne sont pas les mêmes pour les différentes catégories : les hindous et les musulmans sont catégorisés en fonction de leurs croyances religieuses, les sino-mauriciens dont on pourrait supposer que ce serait en fonction de la nomenclature de leur pays de provenance et, finalement, la catégorie fourre-tout dite « population générale ».
Bien entendu, ces différences de critères dans la catégorisation constituent une discrimination flagrante, contraire à l’article 16 de la Constitution, mais dans la mesure où la Première Cédule fait partie de la Constitution elle ne pourrait donc être conçue comme étant anticonstitutionnelle. C’est ce qu’on appelle alors une « Dérogation Constitutionnelle ».
De cette indignité, aucun législateur, en plus de quarante ans d’indépendance, n’a osé proposer que l’on s’en défasse en présentant notamment une motion réclamant l’abrogation de cette disposition légale. Car, il constitue bien le fondement du système divisionniste qui a jusqu’ici permis aux héritiers du legs colonial de se retrouver invariablement au parlement, et selon leurs combinaisons d’alliances ou autres combines, soit au gouvernement ou dans l’opposition. L’objectif consistant à accéder à la députation, comme s’il était possible de se proclamer honorables membres d’une assemblée qui s’accommode de la disgrâce d’une catégorisation inique.
On ne s’étonnera pas non plus que l’Opposition omette même de s’interroger sur l’impartialité de la Commission électorale qui, avec ses responsables prenant partie pour le gouvernement, semble s’être compromis encore une fois quant à son devoir de neutralité. Encore une fois, car les officiers publics de cette commission assurent l’exercice de la discrimination fondée sur des critères de race ou de croyance religieuse, contrairement aux dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 16 de la Constitution qui garantit aux citoyens la protection contre de telles pratiques.
Pire encore, la Commission électorale assure aussi la défense d’un système qui, en réalité, pérennise la notion de Contrainte Préalable. De quoi parlons-nous ? Fut un temps où les citoyens de ce pays ne pouvaient exercer le droit de vote qu’en se qualifiant sur la base de leur occupation professionnelle ou de leur fortune. Avec l’évolution du système politique et l’élargissement du droit vers davantage de démocratie, les contraintes préalables disparaissaient tour à tour et ainsi, le niveau d’instruction scolaire ou même le genre n’était plus des facteurs discriminants. C’est dans l’acception du fait qu’il ne devait y avoir aucune contrainte préalable que le droit de vote et celui de la représentation populaire fut étendu à tous les citoyens indistinctement, les femmes étant les dernières à accéder à ce droit. Or, alors que tous les régimes démocratiques se distinguent par le fait de n’imposer aucune contrainte à l’exercice du droit de vote ou de pouvoir prétendre à la députation et que les vrais tribuns de ce pays ont abattu un à un les murs de la discrimination, Seewoosagur Ramgoolam, despote éclairé ou chef d’État obscurantiste, a choisi de doter ce pays d’un système de contrainte préalable.
Que personne au parlement ne s’étonne, on s’en fera une raison. Que personne ne s’indigne veut dire ce que cela veut dire. Toutefois, le citoyen mauricien que je suis entend faire dans la réciprocité aux propos méprisants de Me. Geoffrey Cox, Q.C., qui estimait devant les Law Lords du Privy Council que : “there is equality of treatment since all those nominated as candidates in a general election are treated in exactly the same way.” A ce sujet de monarque qui se montre aussi facétieux, je laisse deviner la facette de moi que je laisse à sa contemplation…

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