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lundi 20 février 2012

Échec scolaire:Les lâchetés… avec mention !


ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN |  | PAR JOËL TOUSSAINT


Voici donc le temps des fêtes. Avec les résultats du CPE, certains enfants auront le sentiment d'avoir mérité autant leurs cadeaux que la place dans l'établissement tant convoité par leurs parents. Les autres en seront encore à se remettre de leur déception et nombre d'entre eux s'adaptent aux regards de ceux qui ne voient plus leurs capacités créatrices et, encore moins, le potentiel d'une Nation…
Ils sont nombreux ceux-là, certes, à se remettre du KO infligé par le système, mais tous ne se laissent pas faire. Il convient de considérer ce que font par la suite ceux qui furent voués à l'échec pour prendre la juste mesure de ce que fait l'école : Biswanee vend des paréos aux touristes. Ti-Roland leur vend toutes sortes de babioles et en tripote même quelques-unes, ravies d'ajouter une part de sensualité exotique au monoï de la crème solaire. Biswanee et Ti-Roland ont tous deux échoué au CPE et n'ont aucune formation formelle au tourisme. Comment alors expliquer que tous les deux s'expriment avec aisance non seulement en Français et en Anglais, mais aussi en Allemand, en Italien et en Russe ! Ti-Roland s'intéresse même au Mandarin depuis qu'il a appris qu'Air Mauritius entend développer le marché chinois et que Reshad, son fournisseur – un autre recalé du CPE ! – lui ait proposé de se joindre à la prochaine expédition à Shanghai d'un groupe de marchands de rues (comme par hasard, tous des recalés du CPE !).
Les polyglottes mauriciens sont légion. De temps en temps un journaliste s'émerveillera de la débrouillardise d'un individu un peu plus entreprenant que d'autres ; ceux dont on dit qu'il a réussi et que c'est exceptionnel… parce qu'on ne va quand même pas admettre que l'exception, c'est qu'on ne les attendait pas à l'arrivée ! Tout le déterminisme social se résume dans certaines célébrations de la réussite ; il s'agit de ces célébrations qui entretiennent la cécité aux inégalités et qui maintiennent, voire renforcent, les structures de la reproduction sociale.
Tous les Biswanee, les Ti-Roland et les Reshad sont, en fait, les témoins d'un procès que l'on se refuse d'instruire contre le système éducatif. Les compétences linguistiques et relationnelles de ces autodidactes, leur sens de l'entrepreneuriat, de l'investissement et de la gestion, devraient forcer à l'humilité tous ceux qui se bardent de leur MBA comme faire-valoir de quelque compétence en management. En fait, n'ayons pas peur de la vérité ;  ces belles histoires de débrouillardise démontrent une seule et même chose : la faillite de l'école !
Accuser les ministres de l'Education, toutes formations confondues, d'avoir autorisé sur plusieurs décennies des épreuves qui n'ont d'autres fonctions que de légitimer la réussite d'une élite, est une mission de santé morale. De même qu'il convient de dénoncer tous ces pédagogues qui ont abdiqué de la noblesse de leur vocation en se taisant face au jeu de massacre. De même aussi qu'il convient d'accuser les syndicats d'enseignants qui défendent bec et ongles leurs « droits acquis » au détriment des enfants dont la charge leur fut confiée. Si tant est qu'ils soient des professionnels de l'enseignement, ils sont plongés dans la pratique honteuse de ces leçons dites particulières ; pratique qui, en réalité, est une véritable pièce à charge car elle démontre le non-respect des processus cognitifs des jeunes apprenants. Il y a même à s'interroger sur le rôle de l'Ombudsperson responsable du respect des droits de l'enfant quand, en dépit de sa tutelle, autant d'enfants sont envoyés au casse-pipes et que son office se dispense d'interroger les responsables de ces usines de destruction massive que sont devenues les écoles. La faillite de l'école mauricienne est faite de la somme de toutes ces lâchetés.
Paradoxalement, cette faillite se poursuit parce que les lâches savent pouvoir impunément abuser de la crédulité de leurs victimes. Ces derniers croient, en effet, que ceux qui réussissent ont davantage de mérite. Il y a ces parents aux croyances superstitieuses qui prêtent foi aux vertus miraculeux de certains enseignants ou de certains établissements étoilés… Un vrai marché de dupes. Pour s'en rendre compte, il suffit de prendre une poignée de ceux issus de ces « star schools » et de les exposer aux rudes conditions du quotidien des miséreux des zones d'éducation prioritaire. On se rendrait vite compte de l'inaptitude de cette élite – et cela se traduit ensuite dans le monde professionnel – à élaborer des stratégies de survie, de l'innovation permanente, des initiatives créatrices, des trésors de débrouillardise et surtout, le maintien de sa dignité, ce qui fait que justement l'on refuse de se comporter comme un lâche…
Mon cadeau à ceux dont on dit qu'ils ont échoué, c'est de leur avouer que j'ai connu le goût de la misère et de l'échec autant que l'on a célébré mes « réussites ». Et si ce statut m'autorise un conseil, c'est celui de ne jamais baisser les yeux et de toujours toiser ses bourreaux. Je dis à ceux de ma condition que ceux qui participent à leur échec ne méritent que leur mépris. En attendant qu'ils daignent s'élever à cette dignité qui fait notre réelle distinction…

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